Autor: Joanne Lalonde
Idioma: Francés
Fecha de Publicación: 13/06/2006
Tipo de publicación: Texto
Publicación
(Historia y Tendencias del Web Art)
Joanne Lalonde (1)
Département d’histoire de l’art
UQAM
lalonde.joanne@uqam.ca
Cette communication tentera de présenter un panorama historique de l’art web en filiation avec l’histoire des arts électroniques et médiatiques.
L’histoire ou l’archéologie des nouveaux médias ou médias interactifs, qui occupent présentement plusieurs chercheurs, tentent justement de mettre en scène les filiations culturelles et formelles entre les œuvres, tout en relevant les modes d’appropriation, de citation, de réinterprétation.
Plutôt que de considérer le phénomène de l’art web comme lieu de rupture radicale avec la tradition artistique, les analyses théoriques récentes mettent en relief les éléments culturels récurrents, je pense notamment aux travaux de Bolter et Grusin (Remediation, 1999, MIT Press) ou encore ceux du chercheur finlandais Erkki Huhtamo, proposant une approche archéologique des nouveaux médias comportant deux aspects a)étudier les éléments et motifs cycliques et récurrents b) mettre en relief la manière dont les traditions et les formations discursives ont été intégrées dans la machine et ses systèmes dans des contextes historiques différents.
Je suis profondément convaincue de la pertinence de cette position et je travaille dans l’esprit de cette étude des éléments et motifs récurrents depuis 2000. Les trois modèles d’appropriation et de réinterprétation que j’ai mis à jour principalement jusqu à maintenant sont
1. Modalités épistolaires
2. Oralité
3. Le jeu (2)
Un mot sur mon attitude comme « historienne de l’art médiatique » et hypermédiatique. Ma posture est celle d’une microhistoire. Il s’agit pour moi de considérer les œuvres en émergence, donc sans le recul implicite au corpus constitué, où le chercheur observe la réalité de son objet et de ses sources sous une approche intime et non dans une valeur sérielle et quantitative de grandes périodes historiques qui relèverait elle de la macro histoire.
La microhistoire analyse à petite échelle des données historiques d’un microcosme sociétal, nage dans l’incertitude de son objet d’étude, son objet a un caractère instable. Nous verrons dans quelques années si les modèles que je propose deviendront des « faits généralisables »
Modalités épistolaires et oralité
Un des éléments essentiels de l’art web est sans contredit l’importance accordée à l’écriture, une écriture composite et figurativisée, intégrant images, sons, éléments graphiques. (exemple de l’Oeuvre 20 ans après, de l’artiste Sophie Calle, 2002, mise en ligne par le collectif Panoplie.org).
Les mots y sont à la fois chronique (une histoire est racontée) et matière (formes visuelles ou poétiques variables).
Dans un sens élargi, cette recherche autour de l’écriture pourrait englober la dialectique codage-encodage-décodage, qui s’illustre dans l’art logiciel ou ce qu’on appelle « code-art », une définition en constante mutation mais qui fait toujours appel au code comme matériau de création. Les expériences pionnières (1994-1995) de Vuc Cosic à partir du langage HTML sont à cet égard éloquentes.
Un autre élément récurrent serait la nécessaire inscription de la présence du spectateur, à travers le modèle de la conversation ou de la correspondance qui en sont les deux principaux modes d’expression.
Un modèle épistolaire ou dialogique qu’il n’est pas toujours simple de distinguer, chacun pouvant être tour à tour ouvert (interactivité directe lorsque le spectateur contribue au contenu en le modifiant) ou fermé (interactivité fictive, lorsque le spectateur navigue au sein d’un réseau de possibilités prédéterminées).
À partir de l’œuvre-texte, (une notion aussi hétérogène que celle de l’écriture composite), on en déduira que les stratégies narratives du modèle épistolaire exploitent davantage l’effet du temps différé, par lequel les moments d’écriture et de lecture sont distincts, alors que dans le dialogue l’effet en temps direct, la synchronie entre le temps diégétique et le temps de réception du spectateur, prime.
En privilégiant la circulation d’un propos visuel, sonore et verbal, l’œuvre hypermédiatique s’inscrit dans la tradition de l’épistellein. Épistellein signifie envoyer quelque chose à quelqu’un, faire circuler. (Exemple de l’œuvre de Gabriela Golder, Postales, 1999-2000)
Elle contourne toutefois la dimension privée de la lettre en s’adressant à de multiples allocutaires, petite bouteille lancée sur le réseau des réseaux, allocutaires qui, souvent, ne sont pas identifiés.
Elle fonctionne comme une œuvre publique visant davantage une finalité externe (la circulation du récit artistique ou poétique) que des enjeux relationnels précis, comme c’est le cas de la correspondance privés. Les formules d’ouverture (incipit) et de fermeture (excipit) de la lettre sont ici importantes. Elles sont les marqueurs primaires de l’épistolaire. Si ceux-ci ne sont pas toujours présents dans l’œuvre web, les stratégies du récit à une ou plusieurs voix, ainsi que la récurrence des formes verbales ou visuelles visant à confirmer le statut du scripteur, agiront alors comme des marqueurs secondaires de l’épistolaire.
Une fois le pacte épistolaire reconnu, le locuteur peut recourir à différentes modalités d’énonciation. Dans la tradition du roman épistolaire duquel je m’inspire (toujours dans cette visée de comprendre les nouveaux médias comme appropriation, réinterprétation de formes culturelles)
Le roman épistolaire est une forme entre réel et imaginaire où les lettres fictives sont inspirées de l’écriture des lettres réelles, forme fictive de l’épistolaire très voisine des pratiques artistiques en réseau dans la mesure où ces dernières demeurent dans un registre symbolique et non liées à l’utilitaire
il y a trois grands types de structures qui conditionnent trois grands types d’écriture: monodie (un auteur s’exprime), lettre en duo (correspondance entre deux protagonistes) et polyphonie (écriture à plusieurs voix). La formule est simple : on écrit seul, à deux ou à plusieurs (3).
Rappelons bien sûr que dans les cas présentés ici la notion d’écriture implique également le son et l’image, il s’agit alors d’une écriture composite et non d’une production strictement verbale.
L’exemple de l’œuvre de Sophie Calle 20 ans après 2001 que je vous ai présentée s’inscrit dans la logique de la monodie.
Dans cette œuvre de Sophie Calle, la pratique de l’écriture est centrale.
20 ans après est un voyage aux multiples origines dont je rappelle ici les grandes lignes. Avec son projet Les Dormeurs, (4)en 1979, Sophie Calle amorce une série de productions combinant photographies et textes dans une perspective autofictionnelle au sein de laquelle, la posture et la vision de l’artiste demeurent centrales. En 1981, elle construit le projet La filature, récit de sa propre filature par un détective privé , qu’elle reprendra à la demande du galeriste Emmanuel Perrotin en 2001.
Le récit est le suivant : l’artiste se sait suivie et présente son aventure d’une journée en jouant l’alternance entre son personnage public et l’ouverture sur des éléments de son univers intime. En 2002, le collectif Panoplie (Elisabeth Klinoff et Clément Charriet) dans le cadre des Écrits à l’écran (#2) propose une version web de ce récit.
L’oeuvre animée du site web exploite la nature hétérogène des éléments qui la composent (texte en mouvement, images, son). Elle se présente comme un territoire à construire et non pas comme un produit fini ou un objet autonome, forme ouverte qui demandera une participation accrue du spectateur, dans la mesure où ce dernier contribuera à l’élaboration de l’histoire racontée, par les opérations qu’il déclenche et qui permettent le déroulement du récit.
L’écriture composite devient le matériau à partir duquel le lien esthétique avec le spectateur s’élabore, dans un modèle ici de l’interactivité fictive, dans la mesure où ce dernier choisira parmi une série de possibilités prédéterminées sans les modifier ou les transformer. Comme toute œuvre d’art réseau, elle vise l’aspect dynamique propre à l’échange dans le processus de communication, qui reste encore le modèle prépondérant de l’interactivité et où séduire et maintenir le contact deviennent des stratégies indispensables à l’épanouissement de l’objet.
Dans le récit proposé, l’artiste exploite le modèle monodique, son personnage occupant tout l’espace de l’œuvre. Écho d’une seule voix, qui livre un témoignage personnel, le point de vue introspectif de la narratrice, l’instance énonciative exploitant la première personne du singulierdans une mise en scène et projection fantasmatique du personnage de l’artiste.
Les mots racontent l’histoire en petits tableaux chronologiques que le spectateur, allocutaire anonyme, consulte à son choix. L’énonciatrice s’exprime à la première personne du singulier et délègue peu au spectateur à l’intérieur même du récit, contrairement à d’autres œuvres que nous verrons plus tard, tout en lui demandant nous l’avons vu une attention constante pour animer chacun des tableaux.
Absence et distance sont deux autres éléments propres à la pratique épistolaire. Dans le cadre de la diffusion web, cette distance coexiste avec l’idée de proximité, dans la mesure où l’échange peut avoir un caractère immédiat (logiciel de discussion en ligne).
L’espace physique de séparation semble éclater au profit de l’effet du direct. On parlerait alors d’une écriture orale, comme le propose Lucien Sfez (5)dans la mesure où le message, malgré le recours aux éléments graphiques, se présente comme une conversation entre deux partenaires, l’échange demeurant dans la sphère de la réception privée, plutôt que comme un texte destiné à être lu de la même manière par tous.
Il faut préciser que peu d’œuvres hypermédiatiques se contentent du modèle monodique, du récit à une seule voix, comme c’est le cas pour l’œuvre de Sophie Calle 20 ans après (2002). Un récit monodique impliquera toujours la présence de l’autre qui lit ou écoute, mais cette présence demeure anonyme et effacée. Si plusieurs œuvres web présentent une vision très intime, très personnelle, c’est presque toujours avec l’intention d’inviter le spectateur à répondre, à écrire, à se livrer, à s’impliquer à son tour.
Le spectateur brise alors son isolement dans le dialogue avec l’objet. Du monologue on passe alors au dialogue. La dyade favorise cette impression d’échange et l’écriture s’y présentera alors davantage comme une pratique orale.
Dans son œuvre Fear (1998), Zoe Leoudaki (http://www.fear.gr/open.htm) utilise littéralement l’image du livre fermé, du journal intime livrant ses pensées personnelles, l’écriture à la main y est figurativisée, tous ces éléments favorisant le rapprochement avec l’idée de la confidence. Par contre, comme l’enjeu de l’œuvre est de recueillir les témoignages du spectateur, celle-ci vise aussi une écriture polyphonique, une interactivité directe puisque les témoignages des internautes seront intégrés au fur et à mesure.
La confession, le journal intime, l’album photo sont des moyens de mettre en scène des fragments d’intimité, à partir desquels s’édifiera une mythographie nous verrons cet aspect un peu plus loin.
Cela est nettement illustré dans le projet Being Human (1998) d’Annie Abrahams (http://www.bram.org/) où les thèmes de la communication sur Internet, du contact avec l’autre et de notre constante volonté à vouloir communiquer sont exploités sous un mode parodique. Une autre œuvre de Abrahams, Séparation (1996) (http://www.panoplie.org/) exploite l’effet de dialogue propre au direct, effet parce que l’interaction demeure fictive. Adresse directe, formules injonctives demandent au spectateur de co-écrire physiquement le texte en appuyant sur la barre d’espacement de son clavier. En dehors de l’expérience que j’en fait, l’œuvre ne peut exister.
Dans sa production Figures (1998), la photographe Elène Tremblay (http://www.agencetopo.qc.ca/archives/figures) utilise le langage verbal comme moteur au parcours de l’œuvre et l’adresse directe au spectateur, des phrases comme : « Je sais que vous êtes là », « Vous êtes venus me visiter » annonce d’emblée le dialogue et l’interaction. Ces énoncés réflexifs demandent au spectateur de confirmer leur présence en cliquant sur le colophon caché dans la phrase. De plus, le fait que ce parcours ne puisse être généré que par l’activité du spectateur, renforce cette idée d’échange direct, de la conversation médiatique, notamment par l’importance du geste très senti. Les images et les textes se dérobent et forcent le spectateur à les chasser, donnant une dimension ludique à l’expérience. Interactivité fictive, encore une fois, puisque le spectateur n’apportera aucun supplément d’informations à l’œuvre.
Finalement plusieurs œuvres proposent des modèles d’écriture en collaboration, le but est alors de recueillir des témoignages, des images ou des éléments provenant d’une communauté d’internautes, assemblée autour du projet de l’œuvre.
Un autre exemple d’écriture polyphonique serait le projet de Pat Binder, Voices from Ravenbrück . http://pat-binder.de/ravensbrueck/en/home.html
Cette oeuvre est un projet collaboratif. On y retrouve des poèmes écrits par des femmes qui ont vécu au camp de concentration Ravensbrück.
Classification typologiques.
Un des plaisirs cognitifs parmi les plus importants est celui des classifications typologiques. L’histoire de l’art n’échappe pas à ce réflexe premier de catégorisation et plusieurs tentatives d’organisation des œuvres web ont été proposées depuis 1998. En effet, plusieurs auteurs (Bureaud 1998, Bookchnin et Shulgin 1999, Wilson 2002 (6) ont proposé une série de catégories générales permettant une première organisation de ce matériel en croissance exponentielle que représentent les œuvres d’art conçues pour une diffusion sur le web.
Parmi celles-ci on peut nommer des types aussi différents que le « e-mail art », le « form art », les carnets intimes et journaux de voyage, la construction de fausses identités et canulars, la diffusion en continue et la représentation d’images à contenu sexuel, les collaborations de téléprésence et autres dispositifs de communication interactive et relationnelle, les moteurs de recherche, l’activisme, l’utilisation du code propre à internet et de ses interfaces comme forme symbolique, le « browser art » et le « on-line sotfware art », la liste étant loin d’être exhaustive et ces premières catégories tout aussi loin d’être exclusives.
Souvent les œuvres auront recours à plusieurs de ces stratégies décrites plus haut et présenteront même un important défi à la classification et à l’identification. Si bien qu’on arrivera à adopter la proposition tautologique suivante : est une œuvre d’art hypermédiatique ce qui se revendique comme tel.
Comme la troisième partie de ma présentation insistera sur de petits modèles d’interprétation inspirés de ces premières catégories, je n’illustrerai pas ici chaque tendance mais insisterai plutôt sur les défis concrets que posent la documentation de ce phénomène (lexique, terminologie mais aussi indexation, archivage et…)
Depuis 2005, je collabore avec le laboratoire Nt2 de l’UQAM, http://www.labo-nt2.uqam.ca/. Le laboratoire propose un certain nombre de ressources portant sur l’hypertextualité, l’art hypermédiatique, la cyberculture, le cyberespace, l’étude des jeux vidéos, et les théories de la lecture.
Une bibliographie critique et une base de données sur les hypertextes et l’art hypermédiatique sont déjà disponibles en intranet et sur le point d’être diffusées sur le web. Ces bases seront complétées au fur et à mesure que les travaux de recherche se poursuivent. Mon équipe de recherche est responsable de documenter la section « art hypermédiatique ».
«Quel est le statut du texte littéraire, de l’art, du cinéma sur Internet? Quel est le statut de toute œuvre, à l’heure de l’écran relié et de ses technologies? À quel type de matérialité sommes-nous conviés? À quelles formes de lecture, de spectature, d’interprétation?
L’écran relié, c’est l’ordinateur ouvert sur un réseau, tel qu’il apparaît à l’usager. » (7)
Le labo a deux volets :
L’Observatoire des arts et des littératures hypermédiatiques (recherches théoriques)
L’Ouvroir des arts et des littératures hypermédiatiques (espace de création)
Jusqu’à maintenant nous avons répertorié plus de 900 sites d’œuvres d’art web (il y a aussi une liste de site d’œuvres de littérature hypermédiatique). Ses sites sont décrits et indexés en utilisant une liste de mots- clés sur 4 aspects :
Nature du site
Ces mots clé visent à décrire la nature du site, c’est-à-dire sa finalité (œuvre, site d’’artiste, maison d’édition, site d’organisme etc) . Certaines œuvres peuvent être à la fois considérées par les historiens d’art ou théoriciens de la littérature, par exemple les œuvres de YH Chang (8)dont Samsung, que je présente ici ; http://www.yhchang.com/SAMSUNG_ESPANOLA.html
Ou encore les Anipoemas, Ana Maria Uribe.
http://amuribe.tripod.com/
Les anipoemas sont des agencements de lettres animées, formant parfois des formes particulières et représentant des animaux.
Formes d’interactivité
Cette rubrique tente de décrire l’expérience de l’internaute avec l’œuvre. On y retrouve la catégorie « écriture/création collaborative/collective » qui désigne le type d’expérience présenté dans le cadre de l’épistolaire ou de l’oralité.
Formats
Plusieurs éléments de formats peuvent s’additionner. Certains œuvres auront recours à de même types (ex. album photo) qui désigneront à la fois la nature du site et le format.
Contenu
La liste des mots clé est ici infinie.
Je vous présente la version du 31 mai 2006, j’insiste sur le fait que le vocabulaire est l’objet de discussions et de réajustements constants. Il peut sembler simple de catégoriser de l’extérieur mais les œuvres posent chaque jour des questions précises, déjouent ces catégories, et l’acquisition de l’expertise se construit au fur et à mesure de la recherche. Je précise aussi que cette proposition est le résultat de visions interdisciplinaires, littérature et histoire de l’art, ce qui ajoute à la complexité de la démarche, les traditions épistémologiques n’étant pas toujours identiques.
Petits modèles herméneutiques
L’art web résiste également à sa saisie ou cartographie globale (mapping). Mon travail de recherche propose plutôt de petits modèles herméneutiques (théories de l’interprétation) qui permettent d’éclairer quelques segments importants :
Identité : portrait, autoportrait, autoreprésentation, autofiction
Les nouvelles identités narratives et les figures du double abondent dans l’art web. Depuis 1995, les internautes ont assisté à la création de plusieurs personnalités fictives auxquelles ils se sont attachés, parmi lesquelles la très emblématique www.mouchette.org. Que nous racontent donc ces personnages et ces récits fictifs ?
Dans l’histoire des arts médiatiques, l’intérêt pour l’autoreprésentation est omniprésent. La venue sur le marché de différentes technologies a installé des conditions pour explorer, dans un cadre différent, les natures complexes de la subjectivité et de l’identité. La découverte de soi, se mesurer au monde à travers le dispositif web, la caméra vidéo ou même l’appareil photo a fait, et fait encore partie des préoccupations constantes des artistes.
Que ce soit par l’obsession de l’autoportrait, par la construction d’un alter ego fictionnel, par la mythographie, ces représentations véhiculées par les arts médiatiques, grâce à la puissance descriptive des images réalistes accentuant leur effet de vraisemblance, instituent une relation particulière avec le spectateur, le renvoyant à sa propre condition de sujet existentiel, mais aussi à son statut de sujet culturel.
Une importante part de la production de l’art hypermédiatique s’inscrit dans cette tendance. Plusieurs œuvres exploitent ouvertement de nouvelles identités narratives, utilisent de nouvelles stratégies de représentation ou figures du double. En effet, le web favorise la diffusion de leurres de toutes sortes : personnalités multiples et troubles, marché du corps, journaux intimes où fiction et réalité s’entrecroisent.
À l’ère du sujet tragique, (condition post-moderne), tiraillé entre les multiples investigations du soi, le web apparaît aujourd’hui comme un lieu où les identités sont plus que jamais dynamiques et variables, identités des sujets mais aussi des supports médiatiques et des genres.
C’est le règne de la mythographie, une écriture visuelle ou littéraire de la projection fantasmatique d’un sujet lui permettant de multiplier ses extensions identitaires, où les propositions sont très souvent subversives et où elles suggèrent, pour les œuvres les plus audacieuses, une redéfinition critique de nos certitudes
Voici quelques exemples :
Mouchette
http://www.mouchette.org/indexf.html
David Still
http://davidstill.org/
Eveline (Maria Zerbarini)
http://www.marina-zerbarini.com.ar/sitezerbarini.swf
Cette oeuvre arborescente porte l’internaute, au gré de son interaction, vers des textes narratifs ou encore l’oeuvre lui pose des questions personnellement pour ensuite organiser ses réponses de manière aléatoire. Plusieurs éléments semblent le porter vers la connaissance d’un personnage, Éveline, qu’il ne peut jamais tout à fait saisir. Il est presque impossible de voir l’oeuvre entière.
Nadine Norman, Je suis disponible et vous
http://www.jesuisdisponibleetvous.com/content.html
Mi corazon es di latex
(ex. http://corazondelatex.cl/)
C’est manifestement une oeuvre faite par une femme, dans laquelle il est question, d’intimité, de sexualité, de domesticité, de corps. Une série de 9 oeuvres WEB, dont le format est toujours similaire, un diaporama contrôlé par le clic de la souris et qui le plus souvent joint photo et un énoncé.
Les représentations de l’intimité, du monde quotidien et la volonté d’intégrer le spectateur dans le déroulement de l’oeuvre sont, sans contredit des grandes obsessions de l’art web.
Cette idée de mettre en scène la vie quotidienne n’est pas nouvelle pour les arts médiatiques, pensons aux productions de vidéo narratives des années 1970, qui tentaient de rompre la dichotomie privé/public en élevant l’expérience quotidienne au statut d’œuvre d’art.
Dans cette catégorie, le contexte peut être très banal, je pense aux mises en représentation de soi en diffusion continue que l’on retrouve sur le web (webcamartists), auquel l’internaute a accès vingt-quatre par jour, et qui mettent en scène une réalité quotidienne fictive. JennyCam (hors ligne) et Anacam (http://www.anacam.com/) sont les plus connues. D’autres œuvres choisissent de confronter différentes réalités quotidiennes comme Situations4x de Heidi Tikka (http://www.frame-fund.fi/aom/tikka/artwork-3.shtml) mettant en scène la vie de trois familles finlandaises, comme de petites chroniques anthropologiques révélant les parentés toujours dans le quotidien de ces familles, mais aussi leurs différences ou autres variations autour du thème du noyau familial.
Ce phénomène peut-il être compris comme une réaction à cette tendance post-humaine, post-humaniste diront certains, qui dissout le sujet dans les algorithmes de la machine. En effet, il y a près d’un siècle que le champ de l’art remet en question l’artiste. Il n’est ni un génie inspiré, ni un créateur autonome, ni un virtuose, à peine peut-il être polémique. Le post-humain lui retirant peut-être sa dernière parcelle d’humanité, il devient alors tentant d’exhiber de manière ostentatoire la sphère de l’intime comme ersatz du sujet.
Les pratiques de résistance politiques et culturelles (webactivism)
Par activisme web, j’entends des actions politiques, sociales ou féministes. Le web, par son aspect démocratique, par son accessibilité a aussi fourni à des artistes une tribune, une diffusion hors institution, permettant les actions plus spontanées et plus « anarchistes ». On voit se multiplier les manifestes, écrits politiques, comme forme littéraire récurrente (exemples).
On trouve aussi plusieurs pratiques d’infiltration (c.a.d. infiltrer un site institutionnel ou commercial pour y placer un élément étranger, dissonant), infiltration que l’on voit aussi chez certaines artistiques féministes qui tentent d’exploiter l’intérêt des internautes pour les sites pornographiques. Leur succès repose principalement sur deux éléments: le contenu à caractère sexuel et la transmission en continu.
Cup Cake (http://www.sugarandspice.org/) recrute ses spectateurs par son site d’échanges fétichistes auxquels elle fournit des images relativement sages mais inspirées de l’iconographie conventionnée pornographique. Natasha Meritt dans Digital Diaries (www.digital-diaries.com/), ainsi que Tamara Faith Berger et son projet Nursex (http://drivedrive.com/nursex/thirdeyewound.html) intègrent également dans leurs œuvres une utilisation critique des codes de la représentation pornographique. Déconstruire les codes de la pornographie, déjouer les attentes des spectateurs, provoquer l’ennui plutôt qu’un climax, sont quelques stratégies de ces œuvres.
Plusieurs témoignages enfin de communautés d’artistes depuis 1995 soulignent le manque de structure ou de support de diffusion dans leurs pays. Ces artistes disent avoir profité de l’ouverture du web, y ont vu une grande occasion d’émancipation artistique (femmes bosniaques dans les années ’90, artistes d’Europe de l’est).
Je vous présente quelques exemples :
Dominguez Ricardo, Electronic civil desobedience
www.thing.net/~rdom/ecd/EDTECD.html
Site proposant des actions de désobéissance civile électronique ainsi que des textes de réflexion sur l’utilisation d’internet comme moyen d’action direct. Ils ont par exemple organisé un « sit in » virtuel en solidarité avec les Zapatistes qui a paralysé le gouvernement mexicain le 29 janvier 1998).
Guerrila Girls, re-inventing the «f» word-feminism
www.guerrillagirls.com
Les Guerrila Girls sont connues pour leurs actions féministes (affichages publicitaires, manifestations, posters etc…) depuis les années ’80. Leur site web devient une nouvelle tribune pour dénoncer les iniquités qui persistent dans le monde de la production culturelle.
Desparecidos, Gustavo, Ibarra.
http://historiasdetargo.com.ar/desaparecidos.html
Cette oeuvre propose, à la mémoire des trente mille personnes disparues (1976-1983) suite aux actions politiques de la dictature argentine, une représentation du nombre de ces personnes disparues en les substituant par des petits bustes noirs. Ainsi l’internaute, en explorant la page, prend conscience du nombre époustouflant de disparus. L’oeuvre offre aussi un lien vers cette tranche de l’histoire qui est résumée dans le Wikipédia ainsi que vers l’opération condor.
Fabian Taranto, Busqueda-en-proceso
http://www.busqueda-en-proceso.org/
Cette autre oeuvre, toujours à la mémoire des disparus par la dictature militaire, offre à l’internaute la possibilité de connaître les noms des répresseurs de cette sombre période et celui des disparus. La présence des premiers est marquée par de minuscules carrés verts et celles des seconds par de minuscules carrés bleus, prenant ainsi l’allure d’un ciel étoilé dans lequel la présence des victimes se fait beaucoup plus imposante. Dans une autre image s’ajoute aussi la représentation par des petits carrés, les morts, les jamais retrouvés…etc. La couleur des petits carrés représente ici leur âge respectif. On peut aussi apercevoir en arrière-plan une vidéo de la marche qu’ont réalisé les «Madres» à la Plaza de Mayo.
Socialité numérique et rituels interactifs
Il est intéressant à mon avis d’envisager le rapport à l’œuvre hypermédiatique en conjuguant la question de la narrativité (ce qui est raconté) avec celle de la performativité du dispositif (comment cela est présenté) dans ce que Jean-Paul Fourmentraux (9) nomme la «socialité numérique» . Fourmentraux insiste sur le fait que les études sur l’art hypermédiatique doivent tenir compte des « modalités d’agencement des contenus artistiques », en même temps que décrire et comprendre leurs processus de lecture. Ces deux aspects sont, selon l’auteur, indissociables. Il a raison. L‘analyse doit être élaborée au fil des prises successives que l’œuvre engage et par lesquelles elle se déploie. C’est donc le point de vue de la socialité numérique qui l intéresse, par, je le cite, les « actions collectives, les objets repris transformés et transformateurs ». (p. 189).
Ainsi, cette socialité génère différents rituels. Ces rituels sont compris à la fois comme des prescriptions pragmatiques (ce qu’il faut faire pour que l’œuvre fonctionne) mais aussi comme actes de représentation, des cérémonies définitionnelles.
L’œuvre hypermédiatique propose une expérience, ou des expériences communes. Or
ces expériences communes peuvent être comprises comme des rituels.
Tenter de définir le rite et le rituel n’est pas une mince tâche. Plusieurs auteurs reconnaissent que ce concept a depuis longtemps « quitté le domaine des sociétés primitives et exotiques pour devenir un analyseur du contemporain ». (10)
Le rituel est lié à une série de prescriptions pragmatiques, ce qu’il faut faire, des actions répétées et collectives. Les rites sont variables, ils peuvent être profanes ou sacrés, séculiers et quotidiens. Ils suscitent des comportements sporadiques qui caractérisent « certains membres d’une même culture » (p. 87). Ce sont donc des cérémonies variables.
Parmi les fonctions du rituel souvent évoquées (11), outre celle de médiation avec le divin et la fonction de communication et de régulation, se trouve celle de « maîtrise du mouvant et de réassurance contre l’angoisse » (12)
Je m’en tiendrai à cet aspect qui confirme l’hypothèse du sujet tragique post-moderne, un sujet inquiet, dépressif dirait Erhenberg, sujet davantage tourmenté par un conflit narcissique et une incertitude identitaire (c.a.d une tension entre le soi et l’image de soi) que par l’interdit, comme l’était le sujet coupable de Freud (13).
Revenons un instant à la conception du rituel comme action symbolique, comme acte de représentation. Rodrigo Diaz Cruz Diapo (14) propose une lecture du rituel comme cérémonie définitionnelle, qui représente l’identité d’un groupe, sa cohésion, son unité.
« C’est au travers de ces cérémonies que les groupes se définissent tels qu’ils sont, affichent la manière dont ils se conçoivent eux-mêmes et, finalement, montrent la manière par laquelle ils désirent être vus par l’autre. La cérémonie définitionnelle est utilisée dans des endroits où le peuple souffre d’une crise d’invisibilité, de marginalité ou d’inégalité, de mépris ou quand il lutte contre une autre société dominante. La cérémonie constitue aussi une espèce de drame symbolique… »(p.411).
Je fais une petite parenthèse ici concernant la réponse rituelle aux inégalités, en référant aux iniquités sociales concernant le genre ou l’orientation sexuelle qui m’intéressent aussi mais dont je ne traiterai pas en profondeur maintenant. Simplement pour souligner que cela peut offrir une première réponse à la question qui m’est souvent posée sur la coloration très féministe des oeuvres hypermédiatiques, qui souvent proposent des figures contestant à la fois l’universalisant masculin, l’hétérocentrisme et le capitalisme.
Parmi ces cérémonies définitionnnelles se trouvent une grande préoccupation pour définir les identités mouvantes autour du web. J’ai parlé tout à l’heure d’autoreprésentation, en fait on peut affirmer sans aucun doute que l’univers hypermédiatique est très autoréflexif. Quiconque fréquente l’art hypermédiatique réalise très vite que cette dimension autoréflexive est omniprésente (l’artiste insiste sur son statut d’artiste, le spectateur est renvoyé à sa position de réception, le web exhibe son dispositif.
Je vous présente tout de suite quelques exemples.
I’m a net artist, Area 3
http://www.area3.net/barcelona/gluebalize/index_light.htm
Now Here/nowhere, Brigid Lowe
http://www.e-2.org/commissions_nowhere.html
Art-t FTP, Aguirre, Veronica
http://www.arteftp.bbt.net.ar/
Le but de ce site est d’expérimenter avec les possibilités de création qu’offre le web, l’interaction du spectateur avec les oeuvres sur Internet. On retrouve sur ce site un définition de l’art Web, des instructions sur l’oeuvre et l’oeuvre elle-même. Ainsi cette oeuvre présente un petit bonhomme et la petite histoire de celui-di dépend de l’endroit du clic de l’internaute sur le corps de celui-ci. Son radio ne fonctionne pas et alors si on clic sur le pied, il donne un coup de pied à la radio, si on clic sur le bras il frappe la radio de son bras…etc.
Le métissage images et textes.
L’œuvre littéraire change aussi, elle intègre la visée dynamique du web, exploite les dimensions visuelles et sonores du médium. L’écriture est figurativisée, nous avons abordé cette question plus tôt si bien que les distinctions entre texte littéraire et œuvre d’art s’estompent, proposant plusieurs nouveaux modèles de cohabitation images, textes et sons.
Voici en terminant deux exemples.
Buenos Aires word, Juan Pintabona.
http://www.buenosairesword.com.ar/
Cette oeuvre offre l’opportunité aux internautes d’envoyer un message dont la calligraphie sera ensuite choisi à l’aide des grafitis ou écriture retrouvés retrouvés dans les rues de la ville de Buenos Aires. Ainsi chacune des lettres d’un mot est emprunté à la calligraphie d’un graffiti différent. L’internaute peut alors, en cliquant sur la lettre de son message, voir d’où celle-ci provient. Il peut aussi explorer les messages des autres internautes.
Dreamlines, Leonardo Solaas,
http://www.solaas.com.ar/dreamlines/
Cette oeuvre est un moteur de recherche dans lequel l’internaute est invité à écrire des mots-clés, choses qu’il voudrait retrouver dans son rêve. Ainsi le moteur de recherche est un générateur d’images fantasmagoriques. L’internaute peut regarder son rêve défiler à l’écran.
(1) Je tiens à remercier les étudiantes Julie Châteauvert, Marianne Cloutier et Paule Mackrous. qui travaillent avec moi sur le projet de recherche Nouvelles identités narratives dans l’art hypermédiatique, subventionné par le FQRSC (2005-2008), Fonds québecois de recherche sur la société et la culture.
(2) Je ne parlerai pas du jeu dans le cadre de cette conférence.
(3) Ces types fréquents dans le discours critique sont résumés par Marie-Claire Grassi dans Lire l’épistolaire, Dunod, Paris, 1998.
(4) Invitation lancée à amis-famille-inconnus, d’occuper son lit sous forme de quart de 8 heures, inspiré des quarts de production dans les usines.
(5) Lucien Sfez, Technique et idéologie. Un enjeu du pouvoir, Paris, Seuil, 2002.
(6) Bookchin, N. et Shulgin, A , « Introduction to net.art », 1998, http://www.easylife.org/netart/.
Burreaud, Annick. Pour une typologie de la création sur Internet. 1998, http://www.olats.org/OLATS/livres/etudes/index.shtm
WilsonI, Stephen. Information arts, Cambridge, MIT Press, 2002, 945 p.
p. 2 du site NT2, Nouvelles technologies, nouvelles textualités.
(8) Young-Hae Chang Heavy Industries est un collectif formé de Young-Hae Chang et de Marc Voge (YH Chang est d’origine coréenne et Marc Voge américaine)
Le collectif s’est formé en 1999. Le site Web www.yhchang.com a été lancé en 2000 (selon l’article WIKI). Le site web où sont consignés leurs travaux présente maintenant 35 œuvres toutes conçues selon un format identique : animations flash rythmant du texte(font monaco) sur de la musique jazz. Aucune interaction (à part l’activation du lien lançant l’animation)
Dans la plupart de leurs entrevues, YHC et MV précisent qu’ils utilisent les fonctionnalités les plus simples de Flash rejetant tout recours aux fonctions permettant des animations complexes, interactivité, graphiques, images, vidéos, design, couleurs, modifications de font. Il et elle affirment travailler sur l’essence du médium web : l’information.
YHCHI travaillent en anglais, en Coréen et en Français, certaines de leurs œuvres sont traduites (par des traducteurs)dans d’autres langues, espagnol, allemand, japonais, suédois, une langue chinoise dont on ne précise pas laquelle.
(9) Art et internet. Les nouvelles figures de la création, CNRSÉditions, 2005
(10) Je pense notamment à Martine Segalen (Rites et rituels contemporains, Paris, Nathan, coll. 128, 1998, 128p., p. 6) qui le définit comme un ensemble d’actes formalisés, expressifs, symboliques, une configuration spatio-temporelle spécifique par le recours à une série de systèmes de comportements, langages spécifiques, d’objets propres à un groupe, par sa dimension collective, un sens commun pour le groupe. (p.20).
(11) Fonction définie par Maisonneuve, Les rituels, Paris, PUF, Que sais-je, 1988, 125 p.. Médiation avec le divin (valeurs occultes), fonction de communication et de régulation, fonction de maîtrise du mouvant et de la réassurance contre l’angoisse.
(12) Ibid. p. 13.
(13) EHRENBERG, A. La fatigue d’être soi. 1998, Paris, Odile Jacob, 318 p.
STOLOFF, J.C . Interpréter le narcissisme. 2000, Paris, Dunod, 163 p
(14) « L’exploration de la distance : idôlatries, superstitions, résistances rituelles » dans Les formes de reconnaissance de l’autre en question, 2004, Presses Universitaires de Perpignan, Ben Naoum, Ahmed dir.pub.